Paris,
lundi 16 janvier 1950
Mon cher vieux,
je ne t'ai pas gâté de lettres ces temps-ci.
Je pose en principe évidemment
que quelques mots de moi sont un royal cadeau.
J'ai eu des ennuis d'ordre métaphysique
et des ennuis d'ordre matériel.
Précisons,
ma guitare a fait un faux pas et je suis tombée sur elle.
Elle est inutilisable et je ne sais plus que faire.
Je ne te demanderai pas de m'envoyer la tienne,
tu n'en as pas.
N'ayant pas encore atteint les 80 ans du
cher Socrate pour t'intéresser aux harmonies.
Mais je te supplie de m'envoyer une somme d'argent,
si minime soit-elle.
C'est très important.
Je sais bien également,
mon vieux,
que tu es pauvre,
je veux dire fauché,
et que tu
nous enrichis provisoirement plus souvent qu'à ton tour.
Bref,
je sais tout,
mais je m'emmerde tellement sans cet instrument.
Je ne vois que toi qui puisses sauver
ma guitare et me tirer de mon ennui.
Mais bien sûr,
si tu ne peux pas,
notre silence,
qui est invulnérable,
n'en sera nullement
troublé.
Vide ou pleine,
les mains des poètes demeurent toujours tendues.
Je t'embrasse et te prie de ne pas me
remercier de t'avoir demandé quelque chose.
C'est tout naturel.
Georges